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04/09/2014

Pour une Ecologie véritablement révolutionnaire :Détruire ce qui nous détruit

Le combat écologiste est-il porteur, par lui-même, d’une véritable perspective révolutionnaire ? Nous pensons que non. Aussi virulente que puisse prendre son expression, il reste englué dans sa vision limitée du problème. S’il a la capacité de deviner les futures catastrophes, il est dans l'incapacité matérielle de les contrer. L’échec de l’Ecologie politique et les demi-succès de l’Ecologie Radicale sont révélateurs de la logique d’un mouvement qui n’arrive pas à remonter aux sources du Mal et qui ne parvient qu’à être récupéré par le système ou à s’enfermer dans une surenchère stérile.

Pour reprendre l’analyse de l’équipe de l’Encyclopédie des Nuisances (1), les écologistes représentent sur le terrain de la lutte contre les nuisances écologiques ce que représentaient, sur celui des luttes ouvrières, les syndicalistes : des intermédiaires intéressés à conserver les contradictions dont ils assurent la régulation, des négociateurs voués au marchandage (la révision des normes et des taux de nocivité remplaçant les pourcentages des hausses de salaire), des défenseurs du quantitatif au moment où le calcul économique s'étend à de nouveaux domaines (l'air, l'eau, les embryons humains ou la sociabilité de synthèse); bref, les nouveaux courtiers d'un assujettissement à l'économie dont le prix doit maintenant intégrer le coût d'un "environnement de qualité".On voit déjà se mettre en place, cogérée par les experts "verts", une redistribution du territoire entre zones sacrifiées et zones protégées, c’est-à-dire une division spatiale qui réglera l'accès hiérarchisé à la « marchandise nature ». Quant à la radioactivité, il y en aura pour tout le monde.

Dire de la pratique des écologistes qu'elle est réformiste serait encore lui faire trop d'honneur, car elle s'inscrit directement et délibérément dans la logique de la domination capitaliste, qui étend sans cesse, par ses destructions mêmes, le terrain de son exercice. Dans cette production cyclique des maux et de leurs remèdes aggravants, l'écologisme n'aura été que l'armée de réserve d'une époque de bureaucratisation, ou la « rationalité » est toujours définie loin des individus concernés et de toute connaissance réaliste, avec les catastrophes renouvelées que cela implique.

Partant du constat que la société capitaliste actuelle mène par son mode de production et de consommation à la destruction inévitable de notre environnement, nous intégrons pleinement l’écologie à un combat révolutionnaire. Nous la concevons comme une composante d’un projet plus vaste de remise en cause du capitalisme et non comme la motivation unique et principale d’une démarche réformiste. La contradiction entre le milieu naturel et le système capitaliste mondial est totale. Il n'y a aucun terrain commun, rien qui puisse enjamber la séparation définitive entre la préservation de notre planète et la logique d’exploitation sans limites de ses ressources, par le Capital.

C’est sur le terrain des rapports sociaux que se remportera la victoire de la défense de la Nature parce que c’est sur ce terrain là que se concrétise la conscience des enjeux majeurs afin de rompre avec la dynamique productiviste génératrice de pollution mais aussi de chômage et de crises. Seule la Révolution Socialiste pourra mettre fin au système en place et donner naissance à une nouvelle société, qui aura comme préoccupations (entre autres) de rechercher un rapport harmonieux avec son environnement. Parce qu’il ne sera pas guidé par le profit et organisé en firmes multinationales ou étatisées bureaucratiquement, notre Socialisme pourra être et sera un mode de production écologique. Il fera peut-être des faux pas, mais il n’introduira pas de façon systématique et aveugle des déséquilibres dans les cycles naturels, comme le fait le capitalisme. Il n’est pas la correction des lois économiques suivant des critères écologiques, mais le dépassement de la loi de la valeur et de l’économie.

Ce que met en avant la crise écologique, c’est la nécessité de ce dépassement, le caractère devenu absurde socialement de la loi de la valeur qui écrasait déjà l’existence des travailleurs pour augmenter à tout prix la productivité du travail afin d’accroître le profit.

Le Socialisme sortira de la loi de la production pour la production (valorisation du capital, productif ou financier), afin d’élaborer une approche différence de l’économie qui ne soit pas nocive à terme pour notre environnement, et pour la nature, plus largement. Si nous rejetons la course aveugle à la croissance nous ne pouvons souscrire à l’illusion de la décroissance et à sa phobie de la technologie. Basée sur les réels besoins humains- que la société aura à redéfinir- et non sur les artifices de la consommation de masse, la production sera orientée impérativement pour éviter des effets irréversibles ou difficilement réversibles quant à leurs effets sur l’homme et sur la nature. Le but étant d’obtenir une prodigalité de biens d’usage peu coûteux et de qualité, sans impacts destructifs sur l’environnement. La révolution transformera profondément le sens du développement technologique et les conditions de production.

Le mal n’est pas la technique mais l’utilisation qui en est faite par le Capital ainsi que le projet techniciste contemporain de la naissance des prémisses du capitalisme aux 16° et 17°siècles. L’innovation technologique n’est pas pour le moment un moyen de développer les possibilités de l’espèce et d’alléger ses peines, mais de faire produire plus de marchandises et mieux asservir le travailleur. Cela peut très bien changer si nous émancipons la technologie de la recherche du profit. Il est évident qu’un tel changement implique une rupture radicale qui ne peut être que la Révolution Socialiste ! De nos refus naît le futur !

Note :

  1. Encyclopédie des Nuisances, « A tous ceux qui ne veulent pas gérer les nuisances mais les supprimer », appel de 1991.

 

01/08/2014

Orientations politiques de l'OSRE : La Patrie – La Communauté Populaire – Le Socialisme Révolutionnaire

 

Avertissement aux lecteurs : Nous proposons cette première synthèse des idées de notre organisation pour permettre une meilleure connaissance de nos positions aux lecteurs de Rébellion. Nous n'avons jamais considéré qu'un programme politique devait rester figé, l'apparition de situations nouvelles ou des évolutions sans précédent implique de conserver l'esprit en éveil et de ne jamais s'enfermer dans l'aveuglement sectaire. Pourtant, il est nécessaire de proposer des orientations claires à notre combat.

Ce texte n'est pas seulement utile pour les membres de l'OSRE; il intéressera tous ceux qui sont sensibles au destin des peuples européens. De surcroît, il pourra orienter la réflexion des militants défenseurs de leur Patrie et de leur identité, mais qui cherchent à concrétiser leur engagement dans une optique cohérente sur le plan politique et économique, construite autour d'un axe résolument anticapitaliste et explicitement socialiste révolutionnaire.

L'OSRE se définit comme une structure politique d'avant-garde, elle fait reposer son action sur trois axes de lutte : La Patrie-La Communauté Populaire-Le Socialisme Révolutionnaire.

 I - La Patrie : L'idée nationale à réinventer

Notre conception de la Patrie est celle d'une union autour d'un projet collectif commun et orienté vers l'avenir. La France est le fruit de la longue histoire commune des peuples qui la composent. C'est surtout un attachement fort d'un Peuple à sa Patrie et une volonté farouche d'indépendance nationale qui pousse notre pays à toujours faire face à ceux qui veulent l'envahir et le soumettre.

Pour nous, l'héritage historique de la Nation n'est pas une fin en soi, il est un point de départ. Il doit nous permettre de poursuivre l'aventure collective qu'est la France, en l'orientant vers une voie spécifique de construction du socialisme à l'échelle d'une Europe libérée du Capitalisme. En pratique, les formes que peuvent prendre la Nation sont appelées à se transformer pour faire face aux défis de notre époque. Les travailleurs en reprenant en mains leur destin, seront amenés à redéfinir le rôle des institutions et à remettre en cause le fonctionnement d'un Etat qui appartenait à ses ennemis de classe depuis l'origine. Pour cette raison, nous n'avons jamais idéalisé l'ancien modèle républicain jacobin et nous rejetons ses mythes, de même des nationalismes réactionnaires.

Nous considérons que l'idée de Patrie n'est compatible qu'avec la reconnaissance de la richesse constituée par les cultures, les traditions et les institutions locales de chaque région qui la constitue. Nous rejetons le nationalisme centralisateur et sa caricature, le micro nationalisme séparatiste servant les intérêts des ennemis mondialistes de l'unité européenne.

Une rupture radicale doit être clairement faite, aussi bien avec les conceptions réactionnaires et bourgeoises de l'idée nationale qu'avec les tenants d'une mondialisation « post nationale » (qu'ils soient des représentants des multinationales, des bobos altermondialistes ou  les derniers rejetons des groupuscules gauchistes).  L'enjeu est de faire le lien entre la question nationale et la question sociale, c'est-à-dire de poser clairement la priorité de la libération de la France et de l'Europe de la domination capitaliste, ce qui aurait par voie de conséquence une portée internationale essentielle.

L’immigration à grande échelle est une tragédie tant pour les peuples européens que pour les immigrés déracinés victimes du Capitalisme mondialiste qui n’a d’autre finalité que son processus de valorisation et de financiarisation. Partout dans le monde nous soutenons la cause des peuples contre l’homogénéisation et l'exploitation capitalistes dont les Etats-Unis constituent le principal, mais non unique, vecteur.

Nous préconisons un socialisme respectueux de l’identité de chaque peuple dans une Europe forte et consciente de sa communauté d’origine et de destin.

Nous considérons l’Europe de Bruxelles comme étant une parodie de souveraineté européenne, aux antipodes de l’application réelle du principe de subsidiarité, seul moyen de recréer un véritable lien social. Notre modèle est celui d’une Europe fédérale respectueuse des Nations, des peuples, des régions ; Europe à vocation impériale et non impérialiste.

II - La Communauté populaire : liberté, autonomie et responsabilité

En Europe, le socialisme peut s'appuyer sur une conception de la communauté, propre à notre civilisation. Des cités grecques aux libres assemblées du monde germanique ou scandinave, des communes libres du Moyen Age au Mir slave, les formes de communauté sont diverses dans notre histoire mais toujours porteuses de cette idée de collectif. Si le capitalisme a tenté dès l'époque moderne de faire disparaître ces systèmes communautaires, ils ont perduré un certain temps et transmis leurs valeurs au monde du travail moderne et furent salués par tous les penseurs du socialisme (de Proudhon à Marx). L'idée de communauté, avec la fin du cycle historique de la modernité capitaliste, revient naturellement nourrir la réflexion actuelle pour créer une alternative à la faillite du système.

Un même individu appartient à plusieurs communautés (dont la première est la famille et qui peut aller jusqu'à la nation) qui interagissent. Des relations qu'il tisse avec d'autres, il construit et partage une vision du monde qui lui permet de dépasser son individualité et le fait tendre vers l'universel. Force créatrice et active, l'authentique communauté n'est pas le « repli communautaire ». Dérive de l'individualisme, celui-ci est une des névroses du monde moderne. Dans notre conception, la communauté rassemble des personnes qui participent activement à son existence, elle est ouverte mais réclame, pour intégrer de nouveaux membres, qu'ils y participent et se reconnaissent dans son projet.

Garantissant et défendant la liberté de chacun, la communauté permet la prise en mains directe par sa population des leviers de décisions politiques à son échelle. On revient ici à l'idée de Commune, fédération des personnes vivant et travaillant ensemble, qui s'organisent selon le principe de la démocratie directe. Des assemblées dont les représentants seraient révocables dans des conditions clairement définies et dont la légitimité repose sur la conformité avec les principes collectifs édictés comme «lois fondamentales». Afin de mettre en œuvre un socialisme authentique et original, nous rejetons le socialisme bureaucratique d’Etat et soutenons toute forme de démocratie participative, organique et directe dans un Etat de type fédéraliste.

III - Le socialisme révolutionnaire : le rôle crucial de la socialisation

Au cœur de notre réflexion et de notre action, l’idée de la socialisation est à nos yeux la seule solution pour que chacun s’habitue à prendre une part active et consciente au travail qui a toujours une portée collective et cesse d’être instrument ou spectateur passif de la domination capitaliste. La socialisation doit s’appuyer sur des bases « saines » (c’est-à-dire non mercantiles et liées à l’idée de solidarité et d’un minimum de décence morale commune, la « common decency » d’Orwell) que représentent les rapports humains authentiques existant encore dans nos sociétés. Pour cela, les communautés locales constituées par des communes populaires auront un rôle important à jouer.

Partisans de la subsidiarité, nous pensons qu’une articulation est possible entre les divers niveaux de compétence. Il s’agit évidemment du fameux principe de subsidiarité évoqué par les instances de l’UE, mais qui pour cette dernière est un peu comme l’Arlésienne que l’on attend toujours… Cela n’est d’ailleurs pas si étonnant que cela car ce principe se situe aux antipodes du fonctionnement de la société capitaliste, de ses nécessités fondamentales. La subsidiarité consiste, si l’on veut le dire le plus simplement du monde, à s’occuper de ce qui nous regarde ! Justement, la démocratie représentative, si chère au capital contemporain, consiste à nous faire croire que l’on s’occupe grâce à elle de ce qui nous regarde. Le citoyen est invité à participer à sa propre mystification et à s’identifier aux décisions inhérentes au fonctionnement optimal du capital dans sa quête illimitée du profit. Restent alors quelques miettes de pouvoir et de prébendes, concédées à ceux qui veulent bien entrer dans le jeu de la politique du système.

La subsidiarité, c’est la souveraineté populaire qui contrôle la discussion concernant ce qui semble être le plus pertinent pour telle ou telle instance communautaire existant à telle ou telle échelle. Les communautés plus larges (au sens d’instances de décisions à portée plus large comme la région par rapport à la commune et ainsi de suite) englobant celles du stade inférieur non pour les phagocyter mais pour leur donner les moyens d’exister et de participer dans un monde complexe (par exemple, questions de sécurité nationale, approvisionnements divers, etc.).

Sans entrer dans une description de notre futur qui serait utopique, le Socialisme révolutionnaire laisse entrevoir un vaste champ du possible pour faire revivre les collectivités et communautés locales. L’attachement à des cultures enracinées ne sera nullement incompatible avec la participation à cette transformation radicale de la société. Elles trouveront leur place naturellement dans cette nouvelle organisation et permettra une régénération du corps social dans son ensemble.

Nous devons préciser qu’une relative centralisation sera toujours nécessaire. Si la relocalisation de l’économie veut être efficace, elle doit être coordonnée au niveau de la France et de l’Europe par une planification intelligente dans le domaine de la production et de la distribution. Cette planification devra viser une recherche d'efficacité, de qualité et de respect des travailleurs et de la Nature.

Le Socialisme révolutionnaire se fonde sur l'idée que le bien collectif est au dessus des appétits individuels. Que la sortie du Capitalisme doit se produire de façon progressive, par une socialisation de la société.

 

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14/05/2014

Alternative : Le végétarisme comme éthique

Alors que nous vivons dans une société où manger de la viande fait partie des mœurs, avec un système encourageant l’élevage industriel apparu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et où ce marché rapporta 12,1 milliards d’euros en 2012 (avec les fast-foods s’imposant comme leader en France, avec 34 milliards d’euros de vente en 2012), des personnes au mode de vie différent s’élèvent contre cette culture de la surconsommation et ces industries exploitant le monde animal.

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Régulièrement secouées par des scandales (crise de la « vache folle », poulet à la dioxine, lait à la mélanine, viande de cheval dans des lasagnes sensées être au bœuf…), le plus gros scandale des industries agro-alimentaires n’est-il pas tout simplement celui que l’on refuse de voir ? Un milliard d’animaux tués chaque année dans les abattoirs français, environ 90% de la viande consommée provenant de l’élevage industriel, aux conditions atroces: hangars fermés et surpeuplés, animaux nourris aux farines animales, becs des poules et poulets sectionnés à vif, évoluant dans un espace de la taille d’une feuille A4, gavés d’antibiotiques… Le consommateur n’est pas en reste également puisque ces entreprises agro-alimentaires n’hésitent pas à mentir sur les étiquettes, la marchandise… Un système où tout le monde est lésé.

Une histoire de la condition animale

Tout commence il y a 23 000 ans, quand l’Homo Sapiens débute la domestication. La domination de l’Homme sur les animaux (et plus généralement la nature) se trouve appuyée au XVIIème siècle par le philosophe René DESCARTES, affirmant l’idée d’une faune semblable aux machines, objet sans âme à la disposition des humains. Puis, au XIXème siècle, la condition animale ne fait que suivre un monde qui s’industrialise, avec des dérives toujours plus grandes. L’élevage industriel, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, a pour but d’obtenir un maximum de rendement, par tous les moyens. L’Homme se retrouve coupé de la nature dont il est pourtant issu. L’écrivain Paul CLAUDEL, opposé à cette vision d’animal-machine, déclare dans son Bestiaire spirituel, publié en 1949 : «L’habitant des grandes villes ne voit plus les animaux que sous leur aspect de chair morte qu’on lui vend chez le boucher. La mécanique a tout remplacé. Et bientôt ce sera la même chose dans les campagnes. […] Maintenant une vache est un laboratoire vivant […], le cochon est un produit sélectionné qui fournit une quantité de lard conforme au standard. La poule errante et aventureuse est incarcérée.»

Aujourd’hui les animaux continuent à être niés dans la conscience collective d’une société consommatrice, où seul compte la marchandise et le produit fini. Ainsi, on assiste à des manipulations génétiques afin d’obtenir un «produit» plus «rentable», aux destructions des espaces naturels afin de créer des cultures destinées à nourrir les élevages (38% de la forêt Amazonienne a été détruite dans ce but),… et, bientôt, aux AGM (Animaux Génétiquement Modifiés).

Animaux transgéniques

Suite logique d’une société qui, en 1996, donne naissance à la brebis Dolly, premier mammifère cloné (euthanasié sept ans après), la société américaine AquaBounty Technologies risque de commercialiser d’ici fin 2013/début 2014 AquAdvantage®, du saumon deux fois plus gros que la moyenne, modifié génétiquement, et marque déposée. Car, dans un monde où l’argent et le système capitalistes sont rois, et où on créé en 2005 des vaches Génétiquement Modifiées, le but de ces industries et de ces brevets déposés est de contrôler l’alimentation mondiale. Et de toucher des royalties pour la reproduction de ses animaux «marque déposée».

Monde artificiel créé par l’Homme individualiste souhaitant être dieu, avec pour seule spiritualité le profit... Ainsi, l’Homme, en considérant le monde animal comme une machine destinée à le satisfaire, a rompu le lien qui le rattachait à la nature. Une société à mille lieux de celle préconisée par le sceptique Sextus EMPIRIUS, soulignant l’importance pour l’Homme de former une communauté avec les animaux et la nature l’entourant, comme «un esprit qui pénètre à la façon d’une âme, le cosmos tout entier.»

Modes de vie alternatifs

Pourtant, bien loin de ce modèle mortifère prôné aujourd’hui, il existe des sociétés et des choix de vie excluant l’animal de leur logique de consommation. Différents critères motivent l’adoption d’un autre choix de vie, en plus du respect des animaux. La préservation de l’environnement est une motivation prise en compte. En effet, avec environ 70% des terres mondiales servant à l’élevage et à nourrir le bétail, la disparition des espaces naturels et une consommation d’eau excessive (selon l’indicateur Empreinte eau, calculant le volume d’eau utilisé pour produire un produit ou un service, plus de 15 000 litres d’eau sont nécessaires à la production de 1 Kg de viande de bœuf), et quelques 9 milliards d’humains d’ici 2050, continuer ce mode de consommation amènerait pénuries alimentaires et déficit en eau catastrophique, selon le Stockholm International Water Institut. Quant à l’exploitation des peuples, il est tout aussi inquiétant : ainsi, le système, toujours prompt à donner des grandes leçons sur la faim dans le monde (et par la même occasion, à se donner bonne conscience), n’hésite pas à faire cultiver les céréales destinées au bétail dans des pays qu’il aime tant défendre, les pays du Tiers-Monde. Par exemple, en 1973, alors que l’Ethiopie connaissait une famine dans la région du Wello et dans les provinces du Nord, elle exporta pourtant vers l’Europe 9000 tonnes de céréales pour l’élevage.

Préoccupation de l’environnement, respect du monde animal… Le végétarisme, venant du latin vegetus, signifiant sain, frais et vivant se décline sous plusieurs formes : la pratique la plus repandue dans les pays occidentaux consiste à ne pas manger de viande mais inclut les œufs, les produits laitiers et le miel. Le végétarisme Hindou, lié à la pratique de l’Ahimsâ, « l’action ou le fait de ne causer de dommage à personne » exclut les œufs. 40% de la population Hindoue est végétarienne, soit environ 450-500 millions de personnes. Le végétalisme exclut tout aliment provenant de l’animal (viande, œuf, lait…). Enfin, le véganisme (néologisme issu de l’anglais vegan) est, selon la Vegan Society, fondée en 1944, « le mode de vie qui cherche à exclure, autant qu’il est possible et réalisable, toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux, que ce soit pour se nourrir, s’habiller, ou pour tout autre but. »

Même si ces termes et ces choix semblent récents dans le monde occidental, ils ne font que se rapprocher d’une éthique Européenne vieille, de près de 2700 ans…

L’exemple Grec

Les végétariens ne portent ce nom que depuis peu, puisque avant la création de la Vegetarian Society en 1847 ils étaient appelés «Pythagoréens» : le Pythagorisme, en référence au mathématicien PYTHAGORE, et apparu vers la fin de l’époque archaïque, défend l’idée d’une alimentation composée de céréales et végétaux. Ainsi, Ovide, dans ses Métamorphoses, rapporte le discours suivant du mathématicien : «Vous avez les moissons ; vous avez les fruits dont le poids incline les rameaux vers la terre, les raisins suspendus à la vigne, les plantes savoureuses […] ; vous avez le lait des troupeaux, et le miel parfumé de thym ; la terre vous prodigue ses trésors, des mets innocents et purs, qui ne sont pas achetés par le meurtre et le sang. […] Chose horrible ! Des entrailles engloutir des entrailles, un corps s’engraisser d’un autre corps, un être animé vivre de la mort d’un être animé comme lui !» Ainsi,  selon Pythagore, les dons fournis par la nature sont suffisants pour se nourrir, sans devoir recourir à la viande. L’Homme ne mange de la chair animale que par habitude, par facilité, et à cause du premier homme «dont le ventre avide engloutit les mets vivants !»

On retrouve cette même préoccupation bien plus tard, chez le philosophe PLUTARQUE (50-120 après J.C.), qui, dans ses Œuvres morales (ensemble de textes traitant de religion, d’éthique, de philosophie…), défendit le choix du mathématicien de ne pas consommer de viande. Ainsi, à la question «Pour quelle raison Pythagore s’abstenait-il de manger de la chair de bête ?», Plutarque rétorque «Quel motif eut celui qui, le premier, consomma de la viande ?». Pour le philosophe, c’est au carnivore de justifier son choix de consommer de la chair animale, car, tout comme Pythagore, il affirme que les dons de la Terre (légumes, céréales…) sont amplement suffisants pour nourrir l’Homme moderne, et que celui-ci ne tue pas les bêtes par nécessité, mais juste par luxure. Plutarque déclare que les animaux n’ont pas à être considérés comme des êtres inférieurs par l’Homme, qui n’hésite pas à leur ôter la vie pour un plaisir gustatif : «Pour un peu de chair, nous leur ôtons la vie, le soleil, la lumière et le cours d’une vie préfixée par la nature.» Et si la consommation de la viande rend l’Homme insensible à la souffrance des animaux, elle provoque également une agressivité envers ses semblables : «Quel homme se portera jamais à en blesser un autre lorsqu’il sera accoutumé à ménager, à traiter avec bonté les animaux ?». Le végétarisme prôné par l’école Pythagoricienne et défendu par Plutarque pense le destin de chaque être vivant comme interdépendant, et Homme et animaux complémentaires.

Ainsi, dans une pensée et tradition Européenne, le végétarisme (ou végétalisme) permet à l’homme de se rapprocher du mythe de l’âge d’or, période faste et heureuse suivant la création de l’Homme par le dieu Chronos, où êtres humains et animaux vivent en harmonie, et où «On ne connaissait ni la colère, ni les armées, ni la guerre ; l'art funeste d'un cruel forgeron n'avait pas inventé le glaive » (Tibulle, Elégies). Age d’or duquel les sociétés modernes s’éloignent, où l’argent roi triomphe sur le principe d’harmonie universelle. Et s’il est urgent que l’Homme abandonne son obsession de maîtrise absolue de la nature et reconnaisse son obligation morale envers elle et le monde animal, les modes de consommation alternatifs et tout ce qui en découle ne sont pas, comme on pourrait le croire, une obsession de «bobos», vrais bourgeois mais faux bohèmes, mais une volonté de s’éloigner d’un monde et d’un système niant la part divine et la part animale de l’Homme, et son implication dans l’univers tout entier.


Marie Chancel

 Texte issu du dossier "Alternatives" du numéro 62 de la revue Rébellion. Suite disponible dans le numéro 63. Toujours disponible à notre adresse.  

 

13/03/2014

Sortie du numéro 62 de la revue Rébellion

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EDITORIAL Sur le front de la quatrième guerre mondiale.

Hommage à C. Preve.

POLEMIQUE  Nouvelle Inquisition, les bûchers se rallument ! 

ACTUALITE  Affaire Dekhar : Que devient le rêve quand le rêve est fini ? 

INTERNATIONAL  Lampedusa, l'immoralisme occidental par Claude Karnoouh 

Retour sur les discours de Thomas Sankara. 

 

DOSSIER : Face à la barbarie capitaliste proposons l'alternative ! 

La barbarie au coeur du Système 

Pour des communautés politiques, autonomes et offensive ! 

Le végétarisme comme éthique de vie ( première partie) par Marie Chancel.

Orientations politique de l'OSRE.

Chroniques livres . 

 

Le numéro est disponible pour 4 euros auprès de 

Rébellion C/O RSE BP 62124 31020 TOULOUSE cedex 02

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12/12/2011

Entretien avec Costanzo Preve : Que veut dire être « marxiste » de nos jours ?

Article paru dans le numéro 33 (2008) de la revue Rébellion. Un grand merci à monsieur Y. Branca pour sa traduction et ses  notes. 

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Rébellion : Tu rejettes la pertinence de la dichotomie gauche/droite. Tu as été, semble-t-il, vilipendé pour cela en Italie. Peux-tu expliquer ta pensée à ce sujet ainsi que la genèse de celle-ci ? Comment faire pour traduire politiquement la critique de cette dichotomie ?

Costanzo Preve : Les attaques dont j’ai été l’objet en Italie (et par là-même, la rupture ou l’affaiblissement d’amitiés vieilles de plusieurs dizaines d’années) n’ont pas pu modifier le moins du monde mon programme de travail et de recherches, qui s’étend sur cent quatre vingt degrés ; je ne peux donc admettre le chantage de ceux qui veulent imposer de se borner à l’angle droit. Quand on cherche des voies nouvelles, on a toujours un prix à payer, et je considère que celui que je paie est minime. Comme enseignant à la retraite, je n’ai pas eu à payer économiquement (expulsions politiques, licenciements, refus d’embauche, etc.). Encore une preuve du principe marxiste selon lequel la liberté spirituelle n’est possible que sur la base d’une liberté matérielle qui la précède : dans mon cas, la fonction publique.

Ces attaques ont eu trois raison essentielles: d’abord, mon refus argumenté de la pertinence actuelle de la dichotomie droite/gauche, comme critère pour s’orienter dans les grandes questions politiques, économiques, géopolitiques, et culturelles présentes. Deuxièmement, j’ai accordé des entretiens et collaboré à des revues et des périodiques réputés de «droite » par préjugé, parmi lesquelles les revues françaises d’Alain de Benoist. J’en profite en passant pour dire je ne considère pas les revues d’Alain de Benoist comme de « droite », que je les considère plutôt comme des revues qui critiquent l’actuelle évolution « mercantiliste » de la droite. Si je devais les définir en un mot, je dirais : « revues critiques ouvertes à cent quatre vingt degrés ». Troisièmement, j’ai publié certains livres sans avoir fait aucune distinction entre des éditeurs réputés de « gauche » ( Bollati Boringhieri, Citta’ del Sole : La Cité du Soleil)) et des éditeurs réputés de « droite » : ( Settimo Sigillo : Le Septième Sceau , All’ insegna del Veltro : Le signe du Lévrier (1)). Vous savez bien comme il est difficile d’être publié si l’on est hors des circuits universitaires ou politiques « protégés ». Je n’ai jamais et seulement exigé que deux choses : qu’on ne me demande pas d’argent pour me publier, et aucune censure explicite ni implicite. Il me semblait que j’avais, pour ainsi dire, « joué franc jeu ».

Il n’en a pas été ainsi. Non sans un peu de naïveté, je pensais que, de même qu’un juge s’exprime par ses sentences, et un médecin par ses observations cliniques et ses diagnostics, de même fait un philosophe , par ses positions, absolument indépendantes de la couleur de la couverture du livre où elles sont exprimées. Mais évidemment, ce n’est pas comme cela que les choses se passent. Dans le monde manipulé de la paranoïa politique et identitaire de l’appartenance tribale, les positions philosophiques ne comptent pour rien, ce qui compte, c’est la couleur de la couverture. Et ce problème-là est sans solution, parce que c’est le problème lui-même qui prétend être la solution, et nous sommes dans un cercle vicieux. Je suis certainement un penseur original, mais aussi très modeste. Je suis certain que si des penseurs comme Sartre ou Althusser avaient publié chez ses éditeurs considérés comme «  impurs », ils auraient été eux-mêmes passés sous silence.

Et voici, en bref, ce que je pense: la dichotomie Droite/Gauche a globalement exprimé un ensemble de vraies contradictions politiques et sociales, grosso modo, pendant deux siècles : de 1789 à 1989 ; mais cette dichotomie tend à disparaître, en entrant dans une nouvelle phase du capitalisme, que Hegel aurait définie comme « spéculative », et non plus dialectique, où la structure des classes antagonistes subsiste encore, mais ne peut plus être connotée par le conflit entre une bourgeoisie et un prolétariat dans le vieux sens du terme ; et par conséquent , si nous nous trouvons vraiment dans une phase inédite

d’un capitalisme absolument post-bourgeois et post-prolétarien, et donc aussi post-fasciste et post-communiste, dans lequel s’est rompue la vieille alliance entre intellectuels et salariés(V. Boltanski-Chiapello (2) ), il est alors inévitable que toutes les anciennes catégories politiques et culturelles dichotomiques soient à redéfinir et à réécrire. Mais c’est cela qui est empêché, présentement, par la force d’inertie, qui ralentit tout, des formes institutionnelles des trois structures de domination : la classe politique d’administration du système, dépourvue de toute conscience malheureuse (3) ; le cirque médiatique de manipulation spectaculaire ; la cléricature intellectuelle universitaire de la philosophie et des sciences sociales. Ce ralentissement ne durera pas toujours, mais il peut durer encore pendant tout le cours de la vie terrestre de qui est entré dans le troisième âge, et peut-être bien même du deuxième âge. La genèse de ma pensée doit être reconstituée par d’autres, parce que tout point de vue autobiographique sur soi-même, par définition, n’est pas digne de créance. Mais si je dois répondre à tout prix, je dirai qu’il faut en trouver la genèse dans un processus d’autocritique radicale, interne, du point de vue révolutionnaire marxiste d’extrême gauche auquel j’ai adhéré dans ma jeunesse, dans les trois pays où j’ai vécu et dont je connais bien la langue et la situation politique: l’Italie, la France, et la Grèce. Cette autocritique politique radicale m’a pris plusieurs dizaines d’années ; elle s’est évidemment assortie d’inévitables désillusions existentielles, et de ruptures, quelquefois tragiques, quelquefois comiques, toujours tragi-comiques, avec d’anciennes appartenances et solidarités politiques et culturelles. Mais ici, mon expérience personnelle rejoint celle de ceux de ma génération politique, celle des quarante années qui vont de 1960 à 2000.

Comment faire pour traduire politiquement la critique de cette dichotomie ? Il est bien connu que la principale difficulté pratique et quotidienne consiste à être amalgamés et diffamés comme « fascistes infiltrés » dans le corps sacré de la vraie gauche politiquement correcte. Ces gens de gauche ne sont certainement pas les ennemis principaux, évidemment, mais ils sont les adversaires directs, immédiats, qui de fait empêchent la communication politique et la légitimation culturelle publique de cette position. A court terme, sur la base d’une évaluation réaliste et sans gémissements inutiles, nécessairement impuissants, j’estime que, malheureusement, les conditions politiques et culturelles ne sont pas mûres encore pour que cet obstacle soit surmonté. Je voudrais, évidemment, qu’il en fût autrement. Mais pour le moment, c’est comme cela. Je me rends compte parfaitement que l’ on s’use assez vite, lorsqu’on doit concentrer quatre vingt quinze pour cent de ses propres efforts pour expliquer qu’ on ne fait pas partie des émules de Barbe-bleue, de Landru, du Marquis de Sade, ou de Jack l’ éventreur. De même que la pensée des Lumières fut la condition préalable et indispensable à la formation consécutive d’organisations politiques, je considère qu’il est aujourd’hui nécessaire qu’apparaisse un équivalent nouveau des anciennes Lumières, qui puisse donner jour à une nouvelle configuration symbolique et philosophique, qui fasse évanouir peu à peu non seulement la dichotomie Droite/Gauche, mais encore tout le cirque des dichotomie qui l’ accompagnent : ( Athéis-me/religion ; Progressisme/ Conservatisme, Bourgeoisie/Prolétariat – dans le vieux sens du terme, Fascisme/ Antifascisme, Commu-nisme/Anticommunisme, etc.). Aujourd’hui, ces dichotomies ne sont pas seulement erronées, elles se sont incorporées à des structures matérielles de pouvoir et de légitimation. Or, la force d’inertie de ces structures parasitaires est énorme.

Et cependant, ce n’est pas une raison pour se retirer dans la vie privée, ou se contenter d’une simple attitude de témoignage culturel, d’ ailleurs nécessaire. Mais le « militant » de cette position doit savoir, hélas, que l’obstacle symbolique de la diffamation sera dévastateur ; et s’il n’en allait pas ainsi, cela voudrait dire que sa propre proposition est inoffensive, et insignifiante. C’est justement parce qu’elle n’est ni insignifiante ni inoffensive, mais explosive en puissance et éruptive, qu’il faut s’attendre à ce que le « vieux monde » symbolique s’accroche et lutte avec bec et ongles avant de disparaître.

 

R : Que veut dire être «  marxiste » de nos jours ? Que signifie ta position de «  communisme critique » ?

 C.P : Se déclarer « communiste critique » est une tautologie, parce qu’il est impossible de ne pas être tout ensemble communiste, et critique. Comme l’a fait remarquer Emmanuel Renault avec justesse, la pensée de Marx se base sur l’idée de critique comme sur son fondement essentiel, d’où il suit que sa prétention propre à la véracité dérive de là-même – mais ceci, Renault ne l’affirme sans doute pas.

C’est du reste ce que Kant appelle un jugement analytique, où le prédicat est contenu dans le sujet. Le communiste est critique comme le corps est étendu. Alors – pourra-t-on dire -- comment expliquer que l’immense majorité des communistes réels (et non l’idée platonicienne du communiste, ou son idéal-type weberien) n’ont pas été critiques, mais a-critiques, c’est-à-dire, dogmatiques? Marx lui-même l’a expliqué. Lorsqu’une théorie originairement critique est idéologiquement incorporée à des stratégies de légitimation du pouvoir, vient s’ y greffer la fausse-conscience qui est par nécessité celle des agents historiques, et qui est « organisée » en structures administratives de pouvoir. Il s’agit d’un phénomène dialectique, que la seule lecture de la Phénoménologie de l’ Esprit de Hegel permet de conceptualiser.

L’idée de critique se retourne dialectiquement en idéologie de légitimation, sitôt que la nécessaire fausse-conscience des agents historiques s’en empare, si la situation historique objective ne permet pas une élaboration communautaire plus appropriée aux possibilités historiques. En ce qui me concerne, plutôt qu’un « marxiste critique », je suis un marxiste qui essaie, presque toujours vainement, d’être critique. J’y réussis quelquefois, mais pas toujours.

Quant à ce que peut signifier être marxiste aujourd’hui, il faudrait le demander aux quelques marxistes encore en activité. Je ne peux répondre que pour moi-même, en utilisant nécessairement ce petit mot, «  je », que l’écrivain italien Carlo Emilio Gadda (4) a défini autrefois comme « le plus odieux des pronoms ». Par manque de place, je suis obligé d’être extrêmement synthétique.

En premier lieu, je serais souvent tenté de suivre mon défunt ami Jean-Marie Vincent, qui a indiqué que la première chose à faire pour celui qui veut se relier à Marx, c’est de « se débarrasser du marxis-me ». Mais le contexte symbolique où je me trouve m’oblige malgré que j’en aie à revendiquer fièrement mon marxisme, comme le signe provocateur de mon refus à me confondre avec la pittoresque bande des « soixante-huitards repentis ». Il ne s’agit pas tant du vieil et glorieux mot d’ordre d’ « épater le bourgeois » ; et c’est aussi parce que dans l’entre-temps, le bourgeois est devenu impossible à repérer, et a entièrement «  libéralisé » ses puissances d’indignation. Si nous nous déclarons marxistes en face d’un post-bourgeois d’aujourd’hui, il va nous répondre, comme le marquis de Sade : « Français, encore un effort ».

En second lieu, le modèle de Marx demeure le seul à unir une philosophie universaliste de l’émancipation à une théorie des modes de production, et du mode de production capitaliste en particulier. Chez Althusser, j’accepte la critique de l’historicisme et de l’économisme, mais certainement pas celle de l’ humanisme. Je considère celui de Marx comme un humanisme révolutionnaire intégral. Je ne crois pas aux sciences de l’histoire. A mes yeux, les seules sciences proprement dites sont les sciences naturelles. Quitte à faire scandale, je tiens Marx pour la troisième et dernière grande figure de la philosophie classique allemande, après Fichte et Hegel (quant à Schelling, pour être bref , je le considère comme un panthéiste romantique et un spinoziste kantien(5)). Je ne crois pas du tout que Marx soit « matérialiste », à moins d’user de ce terme dans un sens métaphorique, comme une triple métaphore représentant l’athéisme, la « praxis », et surtout la structure si on l’oppose à la superstructure. Je tiens véritablement Marx pour un penseur traditionaliste, parce qu’il se relie à la tradition communautaire de la philosophie européenne, qui s’oppose à la nouveauté de l’individualisme moderne atomisé (Hobbes, Locke, Hume, Adam Smith, et quant à Smith, je partage son approche par Michéa). Je considère Denis Collin comme l’un des penseurs marxistes français les plus intéressants, parce qu’il a eu le courage de critiquer les aspects utopiques de la pensée de Marx, sympathiques mais erronés, devant lesquels, en général, les « marxistes » se prosternent avec vénération.

Pour faire bref, si l’on veut être des critiques vrais, et non pas feints et domestiqués, il faut que la critique adopte ce que Descartes appelait le doute hyperbolique. Se contenter du vieil et ennuyeux doute méthodique n’est digne que d’appariteurs de la philosophie. En un mot, voici ma définition du marxiste critique: c’est celui qui, fidèle à l’anticapitalisme radical de Marx, porte sa critique jusqu’au niveau du doute hyperbolique, sans se laisser épouvanter par la force d’inertie des positions erronées solidifiées en plus d’un siècle (et erronées surtout par historicisme et/ou par utopisme). Tout le reste doit être laissé au libre débat. Lequel, cependant, n’est en fait pas même commencé, nonobstant quelques pionniers courageux (l’un d’eux me vient à l’esprit : Georges Labica, mon ami disparu.)

 

R : Quels sont les grands axes de ta critique du capitalisme ? Est-ce que la crise actuelle du capitalisme rend légitime un projet commu-niste de dépassement de celui-ci ?

C.P : Deux remarques préliminaires, avant d’aborder la partie essentielle de ta question.

Premièrement, je ne pense pas qu’il existe quelque chose qui s’appelle un « projet communiste pour dépasser le capitalisme ». Sur ce point, je reste fidèle à la manière dont Marx posait le problème: il ne croyait pas à l’élaboration d’un projet communiste, qu’il tenait pour la formulation d’une utopie. En admettant qu’il soit possible (comme d’ ailleurs je le crois), et que nous puissions nous accorder aussi sur les seuls linéaments généraux de son profil historique, économique, politique, et culturel ( et tout cela reste évidemment encore à vérifier), le communisme, à mon avis, n’est pas un projet, mais plutôt un ensemble de conditions économiques, sociales, et surtout culturelles préalables, qui d’ailleurs ne me paraissent pas encore mûres du tout, pour le moment, et sur la base desquelles les agents sociaux concrets peuvent alors éventuellement tenter de greffer des pratiques visant à dépasser la synthèse sociale capitaliste. J’espère que tu apprécieras ma démarche prudente pour définir les choses. Le défaut des groupes communistes d’extrême gauche est justement selon moi celui de se présenter devant des militants et des électeurs avec une sorte de « projet », qu’il s’agirait évidemment d’appliquer. Mais le communisme n’est jamais un projet à appliquer. Si c’est un projet, alors, cela ressemble comme deux gouttes d’eau au défunt commu-nisme historique du XX° siècle mort depuis peu ( 1917-1991), qui était exactement un projet d’ ingénierie sociale, ensemble despotique et égalitaire, sous coupole géodésique protégée ( cette expression est de Jameson (6)). Il s’agit là d’une conception positiviste, qui trouve sa source non pas chez Karl Marx, mais chez Auguste Comte. Rien là de très grave, évidemment, pourvu qu’on en soit pleinement conscient. Partant, plutôt que de recommencer à se promettre un impossible projet ( et déjà, Spinoza disait de se garder de concevoir Dieu comme un sujet qui projette la construction du monde naturel et moral), mieux vaut essayer de construire les conditions culturelles et sociales au sein desquelles, libres de toute omnipotence « projective », les sujets individuels et sociaux puissent développer leurs « potentialités » (ici encore dans le sens spinozien de « puissance » : en France, vous avez le bonheur d’avoir d’ excellents commentateurs de Spinoza, comme mon ami André Tosel (7)).

En second lieu, je crois que c’est une erreur que de relier trop hâtivement les possibilités d’une révolution anticapitaliste à la montée d’une crise structurelle du capitalisme lui-même (comme il me semble que le soit celle qui est en cours, qui a éclaté il y a à peu près un an). Ses deux grands précédents historiques ne sont pas rassurants.

La grande crise du capitalisme qu’on appelle la « grande dépression » des années 1873 à 1896 ont donné lieu à la période la plus contre-révolutionnaire de l’histoire contemporaine (colonialisme, racisme, impérialisme, antisémitisme, etc.). Si nous passons à la grande crise de 1929: elle a donné lieu à une période de contre-révolution : fascisme et guerre. Le communisme historiquement constitué en Europe après 1945 (non seulement dans les pays de l’Est, mais aussi en Italie et en France) n’a pas été un résultat de la crise économique, mais exclusivement des victoires militaires de l’U.R.S.S. Par conséquent, sans avoir la place ici d’approfondir ce sujet, j’affirme que je trouve imprudent de fonder d’excessifs espoirs anti-capitalistes sur l’exis-tence d’une telle crise, pour grave et structurelle qu’elle soit.

L’axe principal de ma critique à l’égard du capitalisme se base sans aucun doute aussi sur le scandale moral de l’inégalité croissante et sur le scandale culturel des manipulations médiatiques et de la dégra-dation anthropologique des sujets de l’individualisme absolu, mais je dois reconnaître que ce ne sont pas là pour moi les deux éléments philosophiques fondamentaux. L’aliénation et le fétichisme de la marchandise sont affreux, mais on a toujours pu jusqu’ici, d’une certaine façon, coexister avec eux. Le problème fondamental pour moi consiste dans cette dynamique de développement sans limites de la production capitaliste, et en ceci, que l’infini-illimité (en grec ancien apeiron, comme dans le fragment d’ Anaximandre (8)), est le facteur principal de désagrégation et de dissolution de toute quelconque forme de vie communautaire. Et d’ailleurs, j’interprète la dynamique même de la philosophie grecque classique comme un combat entre l’élément communautaire et l’élément privé ; plus spécifiquement : dans tout le cours de la lutte entre les classes subalternes qui aspirent à sauve-garder la cohésion sociale et économique de la communauté, et les classes supérieures qui visent à dissoudre les liens communautaires, en se libérant de liens de dépendance économique de la communauté, ouvrant ainsi les portes à l’ accumulation chrématistique (9), dont Aristote avait déjà formulé une critique radicale, qui n’a rien à envier à celle que fit Marx dans d’autres circonstances ( voir, à ce sujet, les développements jamais dépassés de Karl Polanyi (10)).

Si j’insiste beaucoup sur cette référence aux anciens grecs, ce n’est pas pour faire étalage d’ archaïsme ou d’érudition, mais parce que mon interprétation de Marx en est directement influencée. La principale erreur qu’on fait généralement sur le communisme, c’est celle de le considérer comme une sorte d’« affaire privée » des contradictions spécifiques au seul mode de production capitaliste, alors qu’il s’agit au contraire de la forme spécifiquement moderne (moderne = capitaliste) d’ un courant de l’histoire universelle beaucoup plus profond, et de longue durée : celui de la toujours résurgente opposition entre la tendance communautaire, agrégative, solidariste des hommes, et leur tendance individualiste, dissolutive, privative (11).

Au moins, ceci est ma conception personnelle et spécifique du communisme. D’où il dérive pour moi, que, paradoxalement (mais c’est un paradoxe dont j’ai bien conscience, et Jean-Jacques Rous-seau disait qu’entre paradoxe et préjugé, il faut choisir le paradoxe) Marx a été non seulement un philosophe idéaliste allemand classique, mais encore un grand penseur traditionnel classique, parce que tout simplement il a redéfini et reformulé la tradition communautaire et anti-individualiste (fondée par Aristote dès les temps antiques, renouvelée et présentée d’ une nouvelle manière par Hegel à l‘époque moderne), dans une opposition radicale à la nouveauté individualiste du capitalisme anglais robinsonien (12), destructrice de tout fondement communautaire de la société ; fondement que John Locke exprima métaphoriquement par le terme de « substance » (le mot vient de sub stare :être dessous, tenir bon), précisément pour en proclamer l’inexistence, en tant que, selon sa conception de la société privée de toute «substance » ( qui représente la communauté), elle était redéfinie en termes de réseau de relations mercantiles individuelles. David Hume compléta l’ouvrage en concevant une auto-fondation intégrale économique de la société sur l’habitude de l’échange marchand, éliminant toute référence philosophique (le droit naturel) et politique

(le contrat social). Jean-Claude Michéa a entièrement raison de dire que la contradiction propre à la « gauche » consiste à nier les consé-quences du modèle de Smith, tout en recevant ses présupposés philosophiques et anthropologiques (13).

Je pourrais m’étendre sur ce propos ; je dois m’arrêter par manque de place. Mais j’estime qu’il est déjà clair que j’apporte une image radicalement nouvelle de Marx, et des raisons fondamentales qui légitiment une critique du capitalisme après l’échec du communisme historique du XX°siècle tel qu’il fut réellement; et après la découverte des apories du modèle original utopico-scientifique de Marx – cet oxymoron n’est évidemment pas le fruit d’une distraction, il est absolument voulu, et intentionnel.

R :T’intéresses-tu à la géopolitique, et penses-tu que celle-ci puisse être un instrument utile à une théorie critique du capitalisme ?

C.P. : A l’intérieur de l’univers symbolique auto-référentiel de la culture de la gauche au profil politiquement correct, la géopolitique est a priori, en tant que telle, considérée comme « de droite », sans tenir compte de ses différentes écoles et thèses diverses. Ce fait est apparemment incompréhensible, puisque la gauche a en effet dans son pedigree de grands maîtres du « réalisme », de Machiavel à Marx et Lénine, etc. Mais cela provient d’une évolution récente de la gauche elle-même, du réalisme au moralisme; plus précisément, du réalisme stratégique à des doctrines et programmes d’un moralisme testimonial qui n’est pas loin de jouir de son impuissance. Cette fascination de

l’impuissance moraliste testimoniale a toute une génétique, avec deux racines principales. La première est, eu égard aux aspects extrême-ment « réalistes » du communisme historique du XX° siècle récem-ment décédé (le réalisme d’un Staline, d’un Mao, etc.), l’élaboration d’un sentiment de culpabilité, qui comporte un revirement dialectique de la violence révolutionnaire en programmes d’impuissance mora-liste testimoniale. La seconde de ces racines est un sentiment d’im-puissance à former des projets, lequel procède, quant à lui, de l’écra-sante menace d’une sorte de dispositif technico-économique inexorable : le Gestell (14) de Heidegger, «  l’horreur économique » de madame Forrester, etc.

Il est évident que la géopolitique n’est ni de droite, ni de gauche, et fut toujours pratiquée par tous, de Gaulle, Roosevelt, Hitler, Staline, etc. Le seul fait de s’en occuper représente déjà un acte très symbolique de résistance intellectuelle envers ceux qui prétendrent nous imposer une position de témoignage purement moraliste condamnant tout « réalisme » en tant que tel. Alors qu’en son temps Marx essaya de dépasser Hegel (je n’ai pas ici la place d’examiner s’il y a plus ou moins bien réussi), la gauche voudrait désormais bel et bien enterrer les critiques de Hegel envers ce qu’ il appelle « la belle âme ». L’interprétation la moins mauvaise de la géopolitique qu’on trouve aujourd’hui sur le marché est celle dite « eurasiatique ». Cet avis ne suppose pas du tout mon adhésion à une mystique eurasiatique, qui combine la vieille slavophilie à l’idéalisation de l’empire mongol. Ce qui m’intéresse est une pure géopolitique de défense de l’Europe contre son incorporation à l’empire des U.S.A (V. Jacques Sapir, Emmanuel Todd, Samir Amin, etc.). Mais il est indubitable que Sarkozy et madame Merkel rament en sens contraire, et que par conséquent, ce projet (qui est aussi celui de De Grossouvre, etc.) ne paraît guère actuel. Dommage ! Personnellement, je le partage pour l’essentiel.

R : Les derniers mois, s’est développée ce que l’on a appelé « l’Obamania ». Comment analyses-tu cette nouvelle lubie médiatique, et plus profondément, y vois-tu un nouveau cap adopté par la politique des Etats Unis ?

C.P : Pour moi, je ne crois pas à la légende qui a cours dans la vieille métropole européenne, et selon laquelle Obama aurait été expressé-ment choisi par les Américains pour une opération internationale de lifting d’image, destinée au reste du monde désormais indigné par la politique et les idées de Bush. Les américains sont le peuple culturel-lement le plus introverti du monde, et comme tous les peuples impé-  riaux et autoréférentiels, dotés d’une idéologie messianique de « destin évident » ( Manifest destiny (15)), sur des bases bibliques marquées par l’Ancien Testament (et qui servent aussi de fondement symbolique à leur appui intégral au sionisme), ils se fichent complè-tement de ce que le reste du monde peut penser. Ils votent en partant d’eux-mêmes, et de leur situation économique. J’estime que les causes de la victoire d’Obama sont toutes internes, et qu’elles tiennent à l’éclatement de la grande crise de l’été 2008. Les républicains avaient mené la politique économique la plus oligarchique et inégalitaire depuis la déclaration d’indépendance de 1776, et il s’est donc formé une alliance sociologique et électorale entre les travailleurs et la couche inférieure de la classe moyenne (lower middle class). Pour les U.S.A., je crois qu’Obama, c’est cela, et rien que cela. Je crois que ceux qui se font des illusions sur un changement stratégique dans la situation impériale et géopolitique des U.S.A. seront vite déçus. La stratégie impériale des U.S.A. domine sur tout changement d’image et de classe politique, si important soient-ils.

Voilà pour Obama. Tandis que l’« obamania » est un phénomène européen, fermement piloté par la manipulation médiatique, et parti-culièrement par la télévision. Le cirque médiatique est assurément poussé par des logiques internes de spectacularisation, devenues très autonomes par commission même, désormais directe, de la politique et de l’économie. Les européens sont devenus comme les sujets provinciaux de l’Empire romain. Après la mort de Vercingétorix étranglé dans une prison de Rome (sort très semblable à celui de Saddam Hussein et de Milosevic), les sujets provinciaux se sont mis à considérer que la domination de Rome était prévisible, et à souhaiter simplement qu’un Marc-Aurèle remplace un Néron. En bref, l’Oba- mania est un phénomène culturel inspiré par la volonté européenne de servilité envers le gentil empereur noir qui a remplacé le méchant empereur blanc, et aussi par l’espoir dont se flattent les intellectuels de gauche, qui croient que l’empire deviendra multilatéral de soi-même, c’est-à-dire à partir d’en haut.

Ce n’est pas grave. Il y en a encore qui croient au créationnisme et à la terre plate. Mais tôt ou tard, il faudra bien que l’enfant même le plus naïf devienne adulte.

R : Certains voient se développer avec espoir l’expérience boliva-rienne de Chavez au Venezuela. Que penses-tu de ce projet « socia-lisant » ? A-t-il une originalité ?

C.P. : Bien sûr que je suis attentif à l’expérience bolivarienne du Venezuela de Chavez, avec adhésion, solidarité, intérêt, espoir. Je soutiens complètement son solidarisme populaire, comme sa politique d’indépendance à l’égard des U.S.A. Ceci est évident, et ne demande pas d’autres précisions. Mais à ce propos, je tiens à mettre en garde de ne pas retomber dans un vieux défaut européen, l’exotisme révolutionnaire latino-américain de compensation de notre longue et pittoresque impuissance. Au moins, l’exotisme chinois comportait cinq années d’étude des idéogrammes et des monosyllabes à plusieurs tons ; mais l’exotisme latino-américain est plus à la portée de la main, il suffit d’un simple cours de trois mois d’espagnol dans une ambiance d’ « immersion totale ». Pauvre Ernesto Che Guevara, devenu une icône pop de l’esthétique post-moderne ! Il ne l’aurait certes pas voulu, ni mérité. Les pays andins ont le problème de la mise en valeur politique et culturelle des indiens, situation absolument non-européenne, bien qu’idéale pour les touristes politiques européens. Si les portugais sont des brésiliens tristes et introvertis, les brésiliens sont des portugais joyeux et extravertis, et dans ma perspective le Brésil est le pays le plus intéressant pour nous, européens. Toutefois, je n’ai aucune confiance dans le syndicalisme (voir Lula), que je considère comme un phénomène peu intéressant, à la différence du populisme charismatique (voir Chavez), qui l’est beaucoup plus, et adéquat à la culture politique latino américaine (voir à ce sujet les analyses d’ Alberto Buela (16), que je partage). Mais le populisme a un défaut : il ne tient que tant que le Chef populaire est vivant et en bonne santé. Le populisme charismatique du parti unique du type communiste vaut certainement mieux, vu l’expérience historique du siècle dernier ; mais cela ne résout pas le problème…

Chavez n’est pas si intéressant par sa culture politique, qui répète de vieux modèles du populisme anti-impérialiste latino-américain, et qu’ en ce qui me concerne, j’ai souvent entendu exposer dans les mêmes termes par des étudiants latino-américains de gauche, dans le Paris des années soixante ; mais par la fonction historique objective qu’ il exerce. Dieu le bénisse et le garde longtemps ! Economie mixte, participation populaire, abandon du stupide « athéisme scientifique », rattachement aux traditions bolivariennes (Guevara était d’ailleurs un bolivariste). Parfait, tant que le prix du pétrole est élevé. Chavez n’est pas important parce qu’il est un modèle, ou parce qu’il offre des livres à Obama. Chavez est important simplement parce qu’il existe. Et c’est déjà beaucoup.

R. : Quelle est ta position sur la construction européenne ? En France, les « souverainistes » rejettent toute idée de projet politique supranational européen. Comment te situes-tu par rapport à ce débat, et penses-tu qu’il soit possible d’envisager un socialisme pour l’Europe ? Aurait-il d’ ailleurs une spécificité ?

C.P. : Les « souverainistes » français, qui pour l’essentiel ont mon approbation et ma solidarité (je suis ici en désaccord avec mon cher ami Alain de Benoist), représentent une version de gauche du gaullisme. C’est donc un phénomène presque exclusivement français, en ce que, hors de France, un vrai gaullisme n’a en effet jamais existé. Je porte en fait sur le gaullisme un jugement positif tempéré, au delà de son profil culturel conservateur (que je ne partage évidemment pas); c’est que je vois l’aspect principal de la contradiction européenne dans l’indépendance de l’Europe à l’égard des U.S.A.

(je tiens, comme vous le voyez, le langage de Mao), et cet aspect principal détermine aussi l’ aspect social du modèle économique européen, qui ne deviendra l’aspect principal (ce que pour le moment il n’est pas encore), que lorsque seulement le premier aspect sera résolu, et que la dernière base militaire américaine devra décamper de l’ Europe. Pas de démocratie athénienne avec une garnison athénienne ou spartiate sur l’Acropole. Je suis helléniste, mais il n’est pas besoin d’être helléniste pour comprendre cela.

L’Italie est un pays complètement dépourvu d’aspiration à la souveraineté nationale (je n’ai pas la place ici d’en montrer les causes, qui se résument dans le fait que le fascisme a entraîné la souveraineté nationale elle-même dans sa défaite méritée); à son sujet, je dois donc, malheureusement, dire avec de Gaulle, que l’Italie n’est pas un « pays pauvre », mais un « pauvre pays » (17). C’est triste, mais il y a bien là une douloureuse vérité.

L’Europe, selon moi, n’est pas une nation. Si je pensais qu’elle l’était, et qu’elle peut le devenir en un temps moins long que les temps bibliques, je serais un européiste convaincu. Mais je ne vois pas pourquoi je devrais penser que je suis compatriote des finlandais, ou des estoniens, et non des tunisiens, ou des égyptiens. Une belle confédération d’Etats- nations en Europe me suffirait, en lui en ajoutant peut-être quelques-uns pacifiquement, par autodétermination (comme par exemple les basques, qui méritent, selon moi, d’avoir leur Etat-nation). Quant à un possible modèle de socialisme européen, il ne peut se caractériser que par un communautarisme démocratique, avec la plus complète liberté d’expression et d’organisation politique, constitutionnellement garantie; il n’en est évidemment pas question avec l’O.T.A.N. et les bases américaines. Mais tout cela appartient au futur. Pour le présent, j’aurais voté « non » à la constitution euro-péenne, comme l’ont fait une intelligente majorité de français.

 

(Réponses traduites de l’italien par Yves Branca)

 

N. D. T.

1 : Le nom de ces maisons d’édition est significatif : La Cité du Soleil est une allusion à l’ouvrage le plus célèbre de Tommaso Campanella, et le « Lévrier » est une allusion à la « prophétie du lévrier » du Virgile de Dante, au Chant premier de l’Enfer de la Divine Comédie. Virgile annonce à Dante qu’un lévrier fabuleux (que les uns ont interprété comme le Christ à son retour glorieux, d’autres comme un grand Empereur ou un saint pape) renverra en enfer la louve hideuse et effrayante, symbole de l’avidité et de la cupidité qui dévastait la malheureuse Italie, et dont l’apparition l’épouvante au début de son voyage mystique. .

2 : V. Luc Boltanski et Eve Chiapello : « Le nouvel esprit du capitalisme », Gallimard, coll. Essais.

3 : Ce terme, d’ ailleurs très heureux, est un des signes de l’attachement de l’auteur à la pensée de Hegel.

4 : Carlo Emilio Gadda (1893-1973) est un de plus grands romanciers et essayistes italiens du XX° siècle : (La mécanique, La connaissance de la douleur, Le château d’ Udine, Eros et Priape, etc.)

5 : Raccourci qui exprime bien le déchirement de Schelling entre l’influence de Kant et de Fichte (le moi, l’ego transcendantal) et celle de Giordano Bruno et de Spinoza (la Nature), dans la formation de sa pensée.

6 : Fredric Jameson (né le 14 avril 1934) est un critique littéraire américain et un théoricien politique marxiste. Il est particulièrement connu pour son analyse des courants culturels contemporains ; il décrit le postmodernisme comme une spatialisation de la culture sous la pression du capitalisme.

7 : André Tosel, professeur à l’ Université de Nice, a travaillé sur Spinoza, Hegel, Marx et des philosophes marxistes. Ses travaux portent sur la rationalité moderne, ainsi que sur les philosophies de la mondialisation. V : « Spinoza ou l’autre (in)finitude », L’ Harmattan, 2009. (Par ailleurs, C. Preve a bien écrit dans cette phrase   « spinozien » (spinoziano), et non pas « spinoziste » (spinozista).

8 : Voir à ce sujet l’étude de Costanzo Preve « La sagesse des Grecs », dans la dernière livraison de la revue Nouvelle Ecole sur « LES GRECS » :

 

9 : Chrématistique : proprement : science de la richesse : du grec chrèmatistikos : celui qui fait des affaires ets’enrichit ; de chrêmata, richesses, biens, dérivé de chraomaï : « j’emploie » et « je possède ».

 10 : Karl Polanyi (1886-1964) est un philosophe hongrois auquel on n’a commencé à s’intéresser en France que lorsque son œuvre maîtresse de 1944, La grande transformation, fut enfin traduite en français quarante ans plus tard. C’est une étude socio-historique de l'économie des puissances en équilibre à la veille et au cours de la seconde guerre mondiale, fondée sur l'histoire du capitalisme, depuis le XVIII° siècle jusqu’ à la Seconde Guerre mondiale. La pensée de Polanyi est trop profonde et originale pour être résumée en quelques lignes. V en particulier, de Jérôme Maucourant, Polanyi, une biographie intellectuelle dans la Revue du M.A.U.S.S. (2007), dont plusieurs livraisons ont traité de Polanyi depuis 1987. Polanyi écrivait en 1927 : "Une idée abstraite de la démocratie, qui ignorait avec hauteur la réalité de la structure de classe, de la religion, de la guerre, de la violence, méritait ce sort : que les réalités ne la prennent pas en compte".

Polanyi, Lathatar (L'Horizon), 1927.

11 : Entende « privatif », au sens propre et juridique de « qui exclut entièrement autrui, qui accorde quelque chose à un seul individu ».

12 : Allusion à Robinson Crusoé pris comme symbole de la solitude de l’homme moderne individualiste.

13 : V. Jean-Claude Michéa : Impasse Adam Smith, coll. Champs, Flammarion, 2006.

14 : Gestell : (sens premiers : tréteau, chevalet, support, squelette au sens figuré, piédestal, pieds de meubles, etc…) est le terme repris par Heidegger pour désigner l’essence de la technique moderne et du monde mécanisé. On l’a traduit par « dispositif » (Clément Layet) ou «  dispositif utilitaire » (Yvan Blot) ; mais ces interprétations sont insuffisantes, et C. Preve a raison de nuancer ici ce terme en parlant d’« une sorte de » ; voici un commentaire lumineux d’ André Préau, le traducteur des essais de Heidegger, qui traduit ce terme par « arraisonnement » : « Qu’est-ce que la technique moderne? Elle aussi est un dévoilement. Le dévoilement qui régit la technique moderne est une provocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être extraite et accumulée ... Le travail du paysan ne provoque pas la terre cultivable ...Qui accomplit l’interpellation provocante? L’homme, manifestement. Mais c’est seulement pour autant que, de son côté, l’homme est déjà provoqué à libérer les énergies naturelles que ce type de dévoilement peut avoir lieu. Où et comment a lieu le dévoilement, s’il n’est pas le simple fait de l’homme? Nous n’avons pas à aller chercher bien loin. Quand l’homme à l’intérieur de la non-occultation dévoile à sa manière ce qui est présent, il ne fait que répondre à l’appel de la non-occultation, là même où il le contredit. Ainsi la technique moderne, en tant que dévoilement qui commet, n’est-elle pas un acte purement humain. L’appel provoquant qui rassemble l’homme autour de la tâche de commettre comme fonds ce qui se dévoile, Heidegger l’appelle l’Arraisonnement (Gestell). Ainsi appelle-t-il le mode de dévoilement qui régit l’essence de la technique moderne et n’est lui-même rien de technique. L’essence de la technique moderne met l’homme sur le chemin de ce dévoilement par lequel, d’une manière plus ou moins perceptible, le réel partout devient fonds. C’est à partir de ce destin que la substance de toute histoire se détermine. L’arraisonnement, comme tout mode du dévoilement, est un envoi du destin. L’homme dans tout son être est toujours régi par le destin du dévoilement. Mais, si le destin nous régit dans le mode de l’Arraisonnement, alors il est le danger suprême. »

15 : La théorie du Manifest Destiny, énoncée en 1845 par John Sullivan, selon laquelle la colonisation et la possession du continent américain tout entier appartenaient aux Etats- Unis par « destin évident », fut la première sollicitation de la doctrine Monroe dans un sens impérialiste. V. à paraître à l’automne, aux éditions Krisis, «  Le concept discriminatoire de guerre », textes inédits en français de Carl Schmitt, avec une préface lumineuse de Danilo Zolo, «  La prophétie de la guerre globale », qui éclaire parfaitement la mutation impérialiste de la doctrine Monroe originelle.

16 : Alberto Buela : philosophe argentin géopoliticien. Correspondant en Argentine de la revue «  Nouvelle école ». V. son entretien avec Alain de Benoist dans le n° 122 de la revue Eléments (automne 2006) : «  Pourquoi le rêve de Simon Bolivar peut devenir une réalité ».

17 : En français dans le texte.